Et si on cessait de relayer la médiocrité

Tendance croissante : l’amplification et la diffusion tous azimuts d’actualité sans intérêt sur des personnages insignifiants ou des événements d’une affligeante médiocrité

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Il apparaît une tendance de plus en plus systématique sur les réseaux sociaux et dans la presse en général, un comportement qui se multiplie et qui touche pratiquement tout le monde : l’amplification et la diffusion tous azimuts d’actualité sans intérêt sur des personnages insignifiants ou des événements d’une affligeante médiocrité.

« Il vaut mieux viser la perfection et la rater que viser la médiocrité et l'atteindre » (Francis Blanche)

Le cas le plus classique, c’est, par exemple, un chroniqueur qui dit une insanité dans un média, suivi d’un relai partout sur Internet dénonçant le propos émis. Et peu de monde réalise à quel point ce genre d’insignifiances occupe une place tout à fait considérable, laissant de ce fait à l’excellence une place réduite à la portion congrue. Ho certes il y a nettement moins de cas d’excellence, mais il serait tout à fait justifié de leur accorder au moins autant de temps à les diffuser et à s’en inspirer. Mais l’avalanche des cas d’écarts de conduites ou de langage de gens ne présentant pas le moindre intérêt étouffe le reste. Et pendant ce temps, que préparons-nous, comment construisons-nous les conditions qui conduiront à une amélioration du quotidien en reléguant la médiocrité à l’anonymat dont elle n’aurait jamais dû sortir ?

Le plus navrant, et c’est que ce qu’on peut voir le plus généralement, ce sont des dénonciations, et rien d’autre, rien de réellement constructif. Il y a bien, au travers de ces relais, l’idée de rejet de quelque chose d’inacceptable pour le plus grand nombre, mais sans pour autant une quelconque promotion de la vertu et de l’excellence, chacun la considérant comme implicite sans pour autant montrer d’exemple : ces exemples sont-ils absents ou inexistant ?

Montrez-nous l’excellence

Il serait nettement plus profitable à tous de signaler aussi des réussites, des cas où des personnes ont montré de l’excellence, des anecdotes où la vertu a été primordiale pour conduire à la réussite, plutôt que des dénonciations mesquines de propos insipides de personnages tout aussi insignifiants. On peut ainsi citer des exemples récents au moment de la rédaction de ce billet : un différent entre l’animateur Cyril Hanouna et Alain Chabat à propos du refus par le second  d’inviter le premier, ou encore le cas de monsieur Yann Moix insultant à l’endroit des forces de l’ordre. Et quand je vois ce genre de messages sur les réseaux, j’ai envie de hurler.

Mais foutez-nous la paix avec ces énergumènes, n’auriez-vous pas plutôt des choses vraiment intéressantes à nous raconter ?

Il y a dans tous ces relais quelque chose de malsain, ce sera à qui arrivera à déclencher « un buzz », gagnant ainsi de la notoriété et une éphémère célébrité, c’est en tous cas l’espoir de beaucoup. Cette culture du narcissisme d’une « génération Facebook » se livrant à de l’exhibitionnisme médiatique juste pour être vu, quête de reconnaissance imméritée parce que l’objet mis en avant présente un intérêt d’une abyssale vacuité.

Et si rien d’intéressant ne se produit, on peut avantageusement considérer la possibilité d’en profiter pour ne rien dire du tout et de tâcher de cultiver l’excellence au lieu de ressasser vainement du négatif à longueur de journée. Construire est largement plus important que la destruction si cette dernière n’est pas elle-même une partie d’un processus de construction. Et pour ceux qui ne savent pas (ou plutôt croient ne pas savoir) comment construire, il y a une piste à visiter : mettez donc votre téléviseur dans un bac de recyclage, et remplacez-le éventuellement par un aquarium. Faites ça en considérant que les directions des médias cultivent sciemment cette médiocrité ambiante, parce que pendant que vous êtes submergés de leurs insignifiances, vous ne prenez pas le temps de réfléchir aux choses réellement importantes de votre propre vie, ce qui sert parfaitement bien le pouvoir en place en lui laissant toute liberté d’action pour continuer le pillage et la destruction du pays sans que vous ne vous en aperceviez. Et pour les soirs d’ennui, prenez un livre, faites-vous conseiller si vous ne savez pas quoi lire, mais tâchez de trouver des récits où la vertu et l’excellence sont la ligne conductrice.

Ce que ça changerait ?

Imaginez un instant l’un de ces personnages que vous dénoncez et imaginez que plus personne ne parle de lui, ni en bien, ni en mal, n’en parle plus du tout, nulle part. C’est sa mort médiatique assurée, et dès lors, les échanges entre vous-même et vos contemporains s’appuyant sur des choses constructives et utiles à tous prendraient alors une toute autre tournure : vos idées, aussi insignifiantes pourraient-elles vous paraître, pourraient être relevées, discutées, enrichies et finalement mises en avant : ce serait à n’en pas douter autrement plus gratifiant qu’un « like » sur un tweet.

On peut prendre un exemple : je trouve nettement plus intéressant de lire un exposé fait par Étienne Chouard sur les ateliers constituants que l’avalanche de messages en tous genres sur les écarts de langage d’un monsieur Moix qui déblatère sur la police. Ce dernier n’attise que haine et le dénigrement, tandis que monsieur Chouard a le mérite de la constance en tentant de transmettre, de construire, d’apprendre aussi, il montre l’exemple.

Petit ajout de dernière minute, en la réécoutant, je trouve le texte d’une de ses « chroniques de la haine ordinaire » de Pierre Desproges tout à fait appropriée parce qu’elle est toujours d’actualité.

Paolo Conte nous arrive comme un cheveu sur la soupe, un cheveu d’or sur la soupe à la grimace.
En pleine apogée de l’hystérie brâmante, où le décérébré spasmodique nous éjacule au oreilles les immondices anglo-maniaques de sa consternante indigence, voici que nous vient, à cheval sur un tabouret de piano-bar pré-mussolinien, ce piémontais, grave et lent, tout habillé gris-sobre de distinguée nostalgie.
Loin des fureurs vulgaires des modes mort-nées, Paolo Conte chante la chanson folle et frivole des années qu’il pleure. Il dit le goût défait des curaçaos amers et des rumbas éteintes.
C’est une voix crépusculaire de vraie virilité, insolente de facilité, profonde et sereine, charriant des graviers roses au bord de se briser.
Il chante. Paolo chante, et la femme amoureuse de l’amour frissonne au creux du cou.
Et le rocker fluet, accablé par tant de beauté, meurt d’humiliation sous sa prothèse électronique.
Paolo Conte chante.
Esthétiquement, c’est beau.
Moralement, comme toute insulte à la médiocrité, c’est une bonne action.

Pierre Desproges, Chroniques de la haine Ordinaire – Paolo

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