Services publics en déliquescence, réalités quotidiennes

La France s’enfonce de plus en plus dans une sorte de jungle où règne la loi du plus fort, où le tout-commerce prime sans égard pour la notion même de service public. L’État brade le patrimoine national et met en œuvre une politique afin de privatiser ce qui était jusqu’à maintenant un service public œuvrant depuis parfois plusieurs siècles et les laissant progressivement tomber en déliquescence. Un exemple pratique et bien réel va illustrer ce propos, exemple montrant comment les services postaux se dégradent de façon alarmante.

Place du Liban - Paris 13

Dînant dans un petit restaurant de quartier, je discutais avec la gérante qui m’exposait ses difficultés avec le service Chronopost pour se faire livrer un colis très urgent. En effet, son terminal de paiement électronique (T.P.E.), ce petit appareil qui nous permet de payer avec une carte bancaire, était tombé en panne et devait être remplacé. Les conséquences sur son commerce ont été particulièrement graves, et je lui ai demandé de m’en faire une description détaillée que je vous livre telle quelle.

Témoignage

Je suis la gérante d’un restaurant libanais situé dans Paris 13ème. Le 11 juin 2019, la machine de la carte bancaire (T.P.E.) tombe en panne en fin de service du midi, sachant que 70% de mes clients règlent leurs consommations par carte. Aussitôt, j’ai pris contact avec la société de gestion monétaire de ma banque (Crédit Agricole) pour remédier à ce problème. Le technicien me promet l’envoi d’un autre T.P.E. dès le lendemain matin avec Chronopost.

Le mercredi 12, le livreur n’est pas passé sous prétexte qu’il n’a trouvé personne à 11h30 au restaurant, ce qui est totalement faux. À nouveau, le service technique me promet un autre passage pour le 13 juin, et comme à son habitude, le livreur passe à 12h00 près du restaurant et ne trouve personne, selon lui, ce qui ne peut être qu’un mensonge puisque les clients commençaient à affluer à 11h50 ce jour là.

Au final, j’ai demandé à ce qu’on me dépose le T.P.E. à mon agence bancaire avenue d’Italie, et j’irais le chercher moi-même, au moins, Chronopost ne pourrait pas se tromper. Et, surprise totale, la banque ne reçoit rien ce jour là. Trois jours de galère totale, de stress et d’incompréhension. J’ai dû hausser le ton à l’agence pour qu’enfin le T.P.E. arrive le samedi 15. Aucun geste commercial, juste des excuses qui ne sont pas valides.

Il faut savoir qu’en quatre jours, j’ai dû perdre plus de 50% du chiffre d’affaire habituel. En voyant le mot affiché à la porte précisant que la carte bleue était en panne, des clients continuaient leur chemin et boudaient le restaurant, malgré le fait qu’un distributeur pour le retrait d’argent est à 200 mètres de distance.

Une très douloureuse expérience avec Chronopost et le Crédit Agricole.

Un banquier en dessous de tout

On peut distinguer ainsi l’effarante inefficacité des services de la poste, un service public vieux de plusieurs siècles qui faisait, à une époque pourtant pas si lointaine, l’orgueil de la France. On peut noter également le peu de cas qu’une banque comme le Crédit Agricole fait de sa clientèle : il me semble me souvenir qu’il y a quelques années, leur devise était « Le bon sens près de chez vous ». S’il y avait eu pour deux sous de bon sens au C.A., chaque agence disposerait d’une T.P.E. de dépannage d’urgence pour ses clients commerciaux afin que chacun d’entre eux, comme cette dame par exemple, puisse l’emprunter le temps qu’on lui remplace le sien.

Il convient tout de même de considérer que cet appareil n’est pas fourni gratuitement, il est loué aux commerçants. Ajoutons que chaque transaction fait l’objet d’une commission pour la banque. Ne se rémunèrent-ils pas suffisamment pour se permettre de laisser ainsi tomber un client ?

Ils ont beau jeu de formuler des excuses après-coup, c’est d’abord très hypocrite, ensuite ça ne répare pas les dommages financiers subis pendant cette période. Un geste commercial ne leur aurait de surcroît pas coûté grand chose. Mais non, les affaires, ce sont les affaires, et ce client ne doit sans doute pas rapporter suffisamment, le moindre sou collecté sera gardé.

Un service postal en déliquescence

Mais la banque est une entreprise privée et on a toute liberté de s’adresser ailleurs. Par contre, le service postal pose un problème. Les directives européenne imposent à la France de soumettre les services publics à « une concurrence libre et non faussée » : en clair, on doit laisser l’exploitation des services postaux (comme de l’ensemble des services publics) à la concurrence.

Mais voilà, on ne remplace pas au pied levé un service rôdé depuis des décennies. Qu’à cela ne tienne, il y a une méthode pour faciliter très notablement l’accession des concurrents à ce juteux marché : il suffit de désorganiser le service et de le rendre inopérant. Ainsi, avec des cadres laxistes et des livreurs particulièrement fainéants, les livraisons urgentes que sont sensés offrir Chronopost prennent plus de temps qu’un envoi ordinaire. On peut voir pire : cette dame m’a raconté qu’une de ses clientes, résidant à Bobigny dans un quartier pavillonnaire, attendait l’envoi d’un téléphone par Chronopost ; elle a reçu un message de ce service lui indiquant qu’ils ne livraient pas dans ce secteur devenu trop dangereux… On croit rêver.

Si ces services étaient gratuits, on pourrait se dire qu’il n’y a pas vraiment de raisons de se plaindre, mais ces services sont payants et fort onéreux, outre le fait qu’ils sont payés d’avance. Et les mensonges évidents ne sauraient être acceptables : prétexter qu’il n’y a personne dans un restaurant un peu avant midi, en pleine semaine, est une absurdité complète.

Peut-être faut-il prendre en compte le fait que le boulevard à cet endroit est en travaux, et qu’une voie complète est fermée, ce qui réduit de moitié les possibilités de stationnement. On pourrait donc imaginer que le livreur de Chronopost n’ayant tout simplement pas envie de marcher plus de 30 mètres a tout simplement décidé de passer directement à sa livraison suivante en se disant qu’il livrerait lorsque les barrières de chantier seraient retirées… ce qui est tout aussi absurde puisque ce chantier durera encore plusieurs semaines voire quelques mois : le cas échéant, il ne songe pas une seconde que pendant ce temps-là, le commerçant devra fonctionner en se passant du contenu du colis !?!

Des citoyens bien égoïstes

On peut aussi regretter les comportements d’un trop grand nombre de nos contemporains qui n’ont même pas dix euros en argent liquide dans la poche et souffrent de paresse. Cette dame mentionne un distributeur à 200 mètres, en réalité il y a trois, dans un rayon de 250 mètres, agences bancaires munies de guichets automatiques, trois dont une située juste de l’autre coté du boulevard, donc à moins de 100 mètres. Le pire, c’est que cette distance sera quand même parcourue pour aller dans un autre restaurant, et le chemin retour sera également effectué pour retourner chez soi ou à son bureau.

Et si on met ça en perspective avec un projet du gouvernement de supprimer l’argent liquide à l’horizon de quelques années, on peut se demander ce que deviendront les commerces qui auront le malheur de subir une panne de leur terminal de paiement. La simple survie de certains commerce sera soumise à la totale dictature de services bancaires et d’entreprises de livraison.

Privatisation rampante

Les dysfonctionnements d’un service public ne sont pas accidentels. Ho certes, on ne peut accuser personne individuellement dans les services postaux. Mais le service étant globalement assuré par un personnel de moins en moins qualifié, l’ensemble des processus a tout d’un train d’engrenages dans lequel on aurait sciemment laissé s’insinuer du sable, et pas juste un petit grain, c’est tout un sablier qui petit à petit est en train de gangrener cette institution.

L’objectif est assez simple à comprendre : ce service ayant plusieurs siècles est très largement rôdé et a déjà fait l’orgueil de la France : on ne peut le concurrencer au pied levé. Pour permettre à la concurrence de s’insérer sur ce juteux marché, il est plus simple de le rendre nettement moins efficace : ça fonctionne fort bien. Pour comprendre la situation avec La Poste, je recommande un article publié il y a déjà dix ans par le site Investig’Action intitulé « La privatisation de la Poste en cinq questions », article déjà fort complet.

Rendez-lui visite

Je remercie cette dame pour son témoignage. Il est à craindre que ce ne soit là qu’un cas sur un nombre beaucoup plus important. Je vous invite à lui rendre visite, sa cuisine est fort bonne, et ses tarifs, plus qu’abordables, sont ceux d’un restaurant de quartier. Son restaurant s’appelle Place du Liban situé au 152 boulevard Vincent Auriol, à 2mn à pied depuis la place d’Italie dans le treizième arrondissement de Paris.

Vous y serez fort bien accueillis. Mais je vous en prie, ayez toujours un peu d’argent liquide dans la poche pour pallier à ce genre de mésaventure détestable.

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